De la justification de l’oeuvre
Je suis un phénomène naturel limité dans le temps et l’espace animé d’une conscience, la même que pour tous les humains. Cette conscience n’est qu’une forme du mouvement et du changement qui génèrent tous les phénomènes de l’univers. Mes oeuvres sont la trace responsable, objective et éphémère de cette conscience.
De la vie artistique
La création artistique a toujours été inscrite dans le déroulement de ma réflexion philosophique; celle-ci est le moyen principal qui me permet de vivre une vie consciente, rationnelle, ouverte sur les autres, sur l’immensité et le mystère du monde. Je suis parce que je crée pour exister, ma vie est une création, en quelque sorte ma plus belle oeuvre d’art.
Vie philosophique et vie d’artiste
Le miracle c’est la vie, être ici et maintenant avec le monde à disposition. Absorber le monde c’est le contempler, le regarder naïvement, sans jugement; il s’agit alors de se forcer à réprimer la pensée rationnelle susceptible d’altération des vérités offertes. En tant qu’artiste « regarder naïvement » c’est revenir à la perception immédiate de la réalité ce qui demande un effort de transformation du regard: je dois me débarrasser de toutes les habitudes que je peux avoir dans ce que l’on appelle « voir les choses normalement ». Il y a quelque chose comme privilégier le « voir les choses naturellement (intuitivement)» au « voir les choses normalement (de façon
normée) ».
De l’importance du regard
Ce que je vis et dépose dans mes oeuvres, n’a pas été perçu seulement avec un regard superficiel porté sur l’existence quotidienne, en cela qu’un tel regard me priverait d’un point de vue plus critique relatif à une existence authentique. Certes le regard banal sur l’existence quotidienne peut suffire à la vie, mais c’est un regard authentique qui en produit la richesse. Je cultive une conscience que j’obtiens par l’addition d’un regard superficiel à un regard critique quant à la vie quotidienne. Au quotidien, mon regard, mes décisions, mes réactions sont convenues, stéréotypées, ce sont celles d’une vie en société; je suis ainsi guidé par un « pilote automatique » ce que je ressens comme un état qui me limite bien qu’il me soit nécessaire. J’ai toujours l’impression que la compréhension d’une chose nécessite d’aller derrière ou au-delà de la réception commune de cette chose. Ma conception du regard authentique se caractérise par un regard attentif, en soi et autour de soi; seul ce regard m’offre une vision quotidienne originale du monde et une personnalité m’apparaissant comme intéressante complète et équilibrée.
Du sens de l’oeuvre
L’oeuvre est faite des propositions intentionnelles du créateur; son sens, résultant de perceptions
et d’interprétations qualitativement et quantitativement diverses n’est jamais complet et définitif.
Le créateur et les spectateurs s’en partagent la construction. L’interprétation première appartient à l’artiste, c’est l’interprétation privée par rapport à l’interprétation libre, ouverte à tout spectateur. Le sens d’une oeuvre reste toujours indéterminé parce qu’il est en puissance en tant que source intarissable d’interprétations représentant de ce fait une finalité sans fin. Plus l’oeuvre est vue, plus elle va développer et enrichir son sens; ce processus est infini tant que l’oeuvre existe. Même dans le cas d’une existence limitée, le problème du sens demeure parce qu’il est impossible de recueillir l’ensemble des interprétations la concernant. En conséquence de tout cela, le sens définitif d’une oeuvre ne peut pas exister, il ne peut pas être objectivé dans un concept fermé. Il est possible de déposer un tel concept sous la forme d’une transcription littéraire, mais son contenu sera forcément réducteur. Le sens de l’oeuvre reste toujours ouvert. Plus l’oeuvre est riche en propositions d’interprétations, plus le spectateur peut en profiter, elle est un jeu, en jeu et enjeu. Celui qui l’apprécie ressent le plaisir d’une expérience libertaire privée.
De la nature de la compréhension
Pour comprendre, je contemple. Comprendre en contemplant consiste à « prendre avec » humblement, de manière intuitive. Ma réflexion suspendue, je laisse simplement la chose agir sur
moi et m’en imprègne. Contempler participe d’une concentration sur le « lâcher prise ». Peut-être est-ce quelque chose comme « le plaisir du chien qui retrouve son maître ». Lorsque je crée, si je réfléchis je ne vois rien et alors qu’en état de contemplation les choses me sautent aux yeux. J’y ajoute la confiance envers les solutions de l’intelligence de ma main.
De la qualité de l’oeuvre
Dans la création picturale libre, l’oeuvre est matériellement finie mais son sens reste ouvert. Dans le « vieil art contemporain », le concept précède l’oeuvre-objet et la justifie, grâce à un discours, son sens est définitif, il est l’oeuvre. Ces artistes bloquent la liberté d’interprétation, en affirmant que la souveraineté du sens n’appartient qu’à son créateur qui en a le contrôle complet. Le sens de l’objet-oeuvre est alors fermé sur lui-même, à sens unique ce qui limite la vie propre de l’oeuvre. Ils font correspondre l’objet-oeuvre à un concept, rabougrissant ainsi l’oeuvre qui se trouve prisonnière et dénaturée. Le sens de l’oeuvre elle-même est donné par le discours qui la justifie; l’oeuvre est alors soustraite à la liberté d’interprétation, elle ne sert plus que de faire-valoir.
L’oeuvre-discours pose plusieurs problèmes. Dans un discours, on arrive toujours à se tirer d’affaire, à dire ce que notre interlocuteur à besoin d’entendre, à en travailler le contenu, à le rendre conforme aux nécessités de l’échange. L’intentionnalité primant sur l’objet alors se pose la question du statut de l’artiste, ce dernier pratiquant en réalité une forme de littérature associée à du bricolage plus ou moins élaboré
De la nature de la nouveauté en art
Un art neuf et original est celui qui est capable d’utiliser les formes du présent pour faire aimer les valeurs naturelles et universelles. Ces valeurs sont redécouvertes par chaque nouvelle génération d’artistes créateurs réactivant ainsi l’expérience profonde de la vie.
De la nature du point de vue
Il est tout à fait possible de voir les choses de très haut en prenant l’avion mais il est impossible de les voir de très bas car je ne peux que me coucher sur le sol. En tant qu’artiste, je dois me poser ce genre de questions car le point de vue, l’angle de celui-ci est très important. Pour choisir le sujet de mes oeuvres, j’adopte, une sorte de « regard d’en haut », un point de vue le plus large possible. Ainsi, j’ai un regard ouvert sur le monde en me détachant d’un univers égocentrique. La vision unilatérale est remplacée par une vision plurielle.
La création artistique, un savant mélange
Dans mes créations sont intégrées des influences qui me sont nécessaires; je les subordonne en les dissolvant dans mes propres apports avec une volonté d’originalité et d’harmonie. La création qui part de rien n’existe pas, la véritable originalité étant la capacité de réaliser le mélange harmonieux d’ingrédients utiles. L’harmonie résulte de la dissolution des particuliers dans un général, elle est de l’ordre du « plat cuisiné ». L’impact de chaque particulier peut être dangereux pour la réussite de cette harmonie; c’est comme le sel dans une préparation: trop c’est immangeable et pas assez c’est insipide. Le résultat final reste lié au talent et à la responsabilité du créateur.
De la justification de l’oeuvre
Je suis un phénomène naturel limité dans le temps et dans l’espace, animé d’un état de conscience qui représente qu’une forme du mouvement et du changement qui génèrent tous les phénomènes de l’univers. Mes oeuvres sont des traces objectives et éphémères de cette conscience.
Point de vue d’artiste
Mes lignes de forces regroupent la contemplation, l’imagination, la créativité, la curiosité et l’intelligence de la main: elles me permettent de vivre le monde en tant qu’artiste. Chaque personne s’inscrit-elle à un tel programme? absolument non et heureusement en termes de liberté et de diversité.
Pourquoi peindre
Une chose dont je suis absolument certain c’est que je suis un corps qui pense parce qu’il ressent. J’existe et je vis parce que je pense mais mes pensées ne deviennent utiles que par leur réalisation dans mes activités corporelles. En art, la réalisation, le fait de rendre réel, ne peut être que partiellement la copie matérialisée de l’image mentale née de l’imagination parce que l’opération de création artistique évolue aussi en cours de réalisation. Peindre est une activité corporelle et spirituelle, c’est un jeu sérieux, complexe et plaisant ainsi que tous les jeux
d’enfance.
Du potentiel de l’idée
L’idée source comme image mentale n’est qu’un potentiel encore inutilisé parce qu’elle ne peut
exister que par sa forme concrète. La forme concrète c’est-dire l’oeuvre, prime et triomphe en
vidant l’idée de sa substance. La chenille devient obligatoirement papillon car le papillon est en puissance dans la chenille, ce qui exige un accomplissement. Ce mécanisme de métamorphose, commun à l’idée source de l’oeuvre ainsi qu’à la chenille est établi à dessein par la nature. Le principe de vérité de l’esprit exige la forme et l’art est le lieu privilégié de la forme libre. Certaines idées sources ne seront jamais concrétisées et volontairement avortées parce qu’elles ne trouvent pas de formes objectivables.
De la qualité des langages
Le langage parlé peut être un piège parce qu’il égare facilement dans le passé ou dans l’avenir contrairement au langage pictural qui lui, est un acte au présent se fixant dans la matière. Peindre est un plaisir; plus qu’un sentiment, c’est un état d’esprit, une ambiance agréable du moment en train de se vivre. Lorsque je peins, je vis ici, maintenant, en l’instant perpétuel; j’exerce une totale concentration qui mobilise attention, maîtrise technique et un corps en situation de création. Je considère en elle-même et pour elle-même l’action que je suis en train de faire; dans cet état d’esprit, je ne perçois plus le monde comme cadre et condition de mon action mais je le ressens en lui-même et pour lui-même. Une telle concentration consiste à faire ce que l’on fait d’habitude, machinalement comme si on le faisait avec la curiosité et la fraîcheur de la première fois.
De l’usage des dons naturels
Les dons sont des potentiels à disposition de tous. Si j’ai la chance d’en avoir un c’est parce que la nature me l’a donné, elle m’a fait grâce de pouvoir en profiter, par conséquent, mon devoir moral est d’en prendre soin, de le respecter et surtout de l’utiliser. La volonté et l’acte de créer m’appartiennent comme liberté et originalité privées; cependant, le produit de cette création n’est pas entièrement privé car l’oeuvre doit être à la disposition du plus grand nombre. Profiter de ce don naturel est un privilège qui doit être nécessairement partagé en conséquence de quoi j’ai l’obligation morale de montrer mes oeuvres et la société a l’obligation morale de les recevoir avec respect. La propriété naturelle de l’oeuvre est donc autant un bien commun que privé.
Réflexions sur l’art et sur la vie
Tout ce que vous allez lire n’engage que moi et j’ose espérer que le plaisir intellectuel que j’ai trouvé à écrire ces réflexions sera partagé. Je n’affirme rien, je ne donne pas de réponses définitives mais je retiens toujours l’hypothèse qui me semble la plus intéressante et la plus réaliste. Je suis conscient que ma vision du monde est toujours subjective dans la mesure où l’art et la vie ne peuvent pas être des sciences exactes. Ma vie est une vaste aporie car je me refuse à conclure et à formuler définitivement un savoir car tout coule tout le temps, je suis comme le lit de la rivière qui se justifie par le passage incessant de l’eau. Une oeuvre est toujours un reflet de ma vie, je commence par la surface blanche et je finis par quelque chose qui me dépasse, un mystère mais tout le processus de création est techniquement et raisonnablement maîtrisé. Tout mon art est une recherche des lois qui permettent d’articuler entre eux le juste, le beau, le bien et le plaisir. Tout est là.